Entre des doigts fins et pâles, un scarabée courait en cherchant un endroit où il pourrait se poser. Des pas lents, presque harassants pour une démarche féminine... Ou presque féminine. Des yeux verts inexpressifs qui observent du haut d'un mètre soixante-dix-huit. Aguri jouait avec le scarabée qui continuait de marcher. C'était presque des chatouilles, ces petites pattes noires... Ses camarades féminines en étaient dégoûtées, cela ne faisait pas très fille, ça donnait juste l'impression repoussante de toucher la demoiselle sans revoir en souvenir cette bestiole lui courir dessus. Aguri n'y avait jamais fait attention, elle aimait ça, avoir un insecte dans ses mains et jouer avec. En fin de journée, après un entraînement exténuant, l'heure était à rentrer chez soi.

A pied, elle passait dans les quartiers avant d'arriver à la résidence. C'était un large détour, pour s'arrêter au terrain de basket le plus proche. De toute façon, personne ne l'attendait sous le toit familial. Aguri passait à l'épicier du coin, se payant quelques fruits, comme des pommes, une grappe de raisin, des bananes... Des fruits quoi. Et le plus important, de l'eau. Bien s'hydrater faisait partie du sport et de la vie quotidienne. Il était donc hors de question qu'elle oublie cette bouteille d'un litre et demi qu'elle rangeait dans son sac avec les fruits.

Depuis qu'elle était à Yôsen, elle manipulait son talent presque correctement. Cela lui arrivait de faillir, mais à son niveau, c'était devenu très rare. Il était aussi son point faible, car il ne fonctionnait qu'un temps, malheureusement. Un groupe de jeunes s'arrêtait devant elle, la croyant naïve.

« Hey, t'as quoi sur toi ? Aboule la monnaie. »

Il regardait les poches d'Aguri avidement, jusqu'à ce qu'elle sente le besoin de se défendre. Elle regardait l'insecte sans expression faciale, puis, sa voix vint couper les ricanements du groupe.

« Ne vous a-t-on jamais appris à regarder les gens dans les yeux, messieurs ? »

Elle relevait le regard, l'enfonçant brusquement dans ces deux iris perturbatrices masculines. D'un seul coup, quelque chose d'étrange se passait ; le jeune homme fut incapable de répondre quoi que ce soit, comme s'il s'était vidé de son âme. Elle levait la main et poussait doucement le garçon, continuant sa route devant les autres membres du groupe qui observait la scène plutôt surpris. Aguri levait la main où l'insecte bougeait et lui parlait ainsi.

« Tu vois, les gens sont vilains, tu ne dois jamais t'en approcher. Ce serait dangereux. »

Après un moment de marche, le terrain de basket se profilait devant elle, et ce fut avec un petit sourire en coin qu'elle traversait la rue qui la séparait du lieu qu'elle cherchait tant. Elle pénétrait le terrain, allait déposer son sac sur le côté et en sortit un ballon. Ce même ballon qu'elle avait gardé depuis ses huit ans. Elle laissait partir l’insecte, le libérant ainsi et s'avança vers le panier le plus proche. Elle se mit alors à viser le panier, marquant ainsi un deux points.

Transportée dans son monde, Aguri se laissait aller, sombrant dans une transe d'euphorie qui s'embrasait à chaque paniers. Elle n'entendit pas l'adolescent entrer sur le terrain, mais sa voix la réveillait brusquement.

« Hey ! Ça te dis un one-one? »

Elle se retournait vers le jeune-homme qui faisait... Douze centimètres de plus qu'elle ? La différence n'était pas si flagrante, mais Aguri ne bronchait pas, elle ne se contentait que de regarder le garçon dans les yeux. Elle observait alors sa réaction ; ressemblant à un poisson rouge, l'adolescent semblait avoir perdu toute action à la parole. Elle clignait des yeux une unique fois, alors qu'elle se rendit compte qu'elle venait de pénétrer le regard avec son talent. Elle fixait ensuite l'uniforme de celui qui se tenait devant elle, intriguée. Un très fin sourire étirait ses lèvres, et c'est avec un très léger enthousiasme dans sa voix qu'elle répondait.

« J'accepte avec plaisir. » , elle se courbait, histoire de se présenter, « Je me nomme Aguri Aijiro, je suis enchantée. Vous êtes de Seirin, au vu de ce que j'ai remarqué sur votre uniforme. Il est rare de trouver des élèves d'un autre lycée dans ces parages. »

Vouvoyer faisait partie d'elle. Une forme de politesse qui dégageait l'ultime respect de chacun. D'ailleurs, depuis qu'elle était entrée dans le club de basket féminin de Yosen, elle n'avait pas autant parler. Ceci prouvait son enthousiasme. Si elle se remémorait ce visage, très intéressant au passage, elle pourrait y mettre un nom dessus. N'était-ce pas lui, l'As de l'équipe masculine de Seirin ? Dans le doute, elle n'osait poser cette question qui pourrait s'avérer être une négation de la part de son interlocuteur. Elle prenait son ballon orange et le fit rebondir au sol, testant son efficacité. Elle regardait alors l'objet orange, puis, son regard vint à croiser celui de l'adolescent.

« Je suis navrée, mon ballon a l'air en piteux état. Cela vous conviendra-t-il ? »

Aguri gardait le ballon, à présent dans ses bras. Elle sursautait légèrement lorsqu'il lui demandait d'arrêter de le vouvoyer. Elle n'y avait pas fait attention à vrai dire. Enfin, un semblant de sursaut. Aguri était inexpressive, il était absolument rare qu'elle sourit ou qu'elle ne fasse passer ne fut-ce que la surprise. Quoi que cela lui était déjà arrivé. Tutoyer allait être difficile au début, mais avec lui, ou avec quelqu'un d'autre qui lui demandait de le tutoyer, elle finirait par avoir l'habitude de toute façon.

« Je suis navrée, j'ai l'habitude de vouvoyer les gens même de mon âge. Ravie de te rencontrer, Kagami. »

Elle lui offrit un très mince sourire. Les rares à l'avoir vu sourire étaient peu nombreux, à peine trois si on comptait Kagami dans ses rencontres. Il fallait vraiment qu'elle s'investisse, surtout que le Seirin était plus ouvert. Enfin, il semblait plus ouvert. Aguri le fixait pendant qu'il s'enflammait. Ah ? Il connaissait Amy ? Sa jambe ? Qu'avait donc sa Capitaine à la jambe ? Aguri le saura un jour. Tôt ou tard, cela arriverait. Un peu prise au dépourvu, Aguri ne fit que reculer d'un pas par réflexe. Elle fit alors un effort considérable ; elle sourit sincèrement à Kagami. Quelle première ! Il fallait noter ça au calendrier et vite !

« Et bien... Amy est ma Capitaine. Et pour tout v-te dire, disons que certaines membres passent au savon régulièrement. » , elle marquait une pause, pour faire rebondir son ballon, « Pour l'instant, notre relation s'arrête au basket. Mais j'ai l'impression qu'elle se montre forte pour cacher une certaine... Vulnérabilité. J'apprécie le contact que nous avons, je ne pourrais dire pourquoi... »

Elle se tournait vers Kagami, laissant un fin sourire étirer ses lèvres. Depuis quand n'avait-elle pas parler autant de ses impressions sur quelqu'un ? Cela n'était jamais arrivé. Personne ne s'était soucier de ses impressions, ni même de ce qu'elle pensait. En fait si, mais cette amitié était loin d'avoir aboutie.

« Ce n'est rien, je ne suis pas effrayé. Je garderai le secret. Mais, maintenant que je sais que tu connais ma Capitaine, je n'ai plus besoin de te poser la question ; tu es l'As de l'équipe de Seirin. »

Cela sonnait plus qu'une évidence pour elle.

C'était étrange. Aguri regardait Kagami, alors qu'il levait les yeux au ciel. Elle percevait comme un sentiment qui la traversait à l'instant même. Un vent étrange dans sa direction. Toujours aussi inexpressive, elle ne bougeait pas. Elle le regardait, debout comme une statue.

Puis, elle perçut dans les iris brunes du jeune-homme, un voile. Transparent, qui étincelait son regard. Il avait été sur le point de pleurer. Aguri savait ce que cela faisait, pleurer. Cependant, sa tristesse était devenue une banalité, comme la routine que les adultes mangent tous les jours. Tellement banal qu'elle en avait oublié ce que cela faisait, ce que ça procurait. Avant de commencer à dribbler, elle s'approchait de lui, le fixant droit dans les yeux.

« Ne pense plus à ce qui fait souffrir. Tout ce qui ne tue pas, nous rend plus fort. »

Un sourire effleurait ses lèvres et ce fut sur cette note rassurante, qu'elle commençait à dribbler, la distance devenue raisonnable entre-eux. Elle fermait les yeux en réfléchissant àç une stratégie. Hors de question d'utiliser son atout au premier panier marqué. Elle accélérait le pas, un petit sourire effleurant ses lèvres. Défense ou attaque ? Arrivée à ses côtés, la balle dans sa main gauche, filait à toute vitesse entre les jambes de Kagami, dans un contour circulaire parfait. La balle rebondissait sur le sol et alors que l'attention du Tigre de Seirin fut détournée, elle passait à ses côtés en récupérant la balle.

« Aller ! Approche si tu l'ose. »

Le match entre les deux protagonistes battait son plein, Aguri se sentait même face à un adversaire presque à son niveau. Alors qu'elle feintait, la balle entre les jambes, elle put entendre Kagami crier. Pour la première fois depuis son entrée dans le club de basket de Yosen, Aguri souriait, si celui-ci n'était pas pire. Un sourire d'exaltation étirait ses lèvres, même si elle ne le montrait pas, de dos au Tigre de Seirin. Il feintait sur la droite, lui prenant la balle, mais elle revenait vers lui par-derrière et le lui prenait en tapant dessus vers elle. Le ballon orange fit un bon en arrière, revenant dans ses mains, jusqu'à ce qu'il la récupère. L'échange durait un moment, et Aguri ne pu s'empêcher de sourire à nouveau lorsqu'elle entendit Kagami crier de plus belle.

Prête à marquer un deux points, Kagami revint vers elle, mais dans un mouvement très maladroit, celui-ci ne fit qu'aller se cogner contre le poteau. Aguri restait là, sans rien faire, le ballon soulevé entre ses mains, fixant de son regard inexpressif le Tigre de Seirin se frotter le visage. Elle lâchait le ballon et s'approchait de lui, doucement. Devant lui, Aguri le fixait toujours, plantant son regard menthe à l'eau dans le sien.

La japonaise n'était pas douée pour les contacts physiques. Elle n'avait presque jamais pratiquer cela en dehors des matchs, ou, c'était bien rare. Elle levait les mains, pour les poser sur le visage de Kagami, tout en évaluant la situation. Il fallait arranger cela.

« Il faut régler ce problème de rougeur avant que cela ne devienne violacé. »

Elle lui prenait la main et allait l'installer sur le banc le plus proche, là où son sac était au sol. Elle se baissait et fouillait à l'intérieur pour en sortir un gros quartier de pastèque emballé. Elle le palpait, et fut heureuse de constater qu'il était toujours bien froid. Elle se relevait et posait le quartier de fruit sur le visage de Kagami, dans un geste délicat en le prévenant en même temps.

« Attention, c'est froid, mais cela va t'aider, on dit que le froid atténue le bleu. »

Aguri fut bien heureuse de constater que la pastèque jouait son rôle bénéfique sur le visage de Kagami. Elle fermait les yeux tout en laissant le Seirin exulter. Bah, ce n'était pas comme si elle n'en avait pas d'autres. Son sac était remplis de fruits divers. Elle ouvrait les yeux, les posant sur Kagami. Pas qu'elle détestait qu'on la rembourse, mais lorsque l'on effectuait une bonne action, celle-ci vous était rendue à un moment ou un autre. Tout ce qui venait de bonté était rendu.

« Pas besoin, mais si tu y comptes, je ne refuserai pas. »

Bien qu'elle savait que les gens insistaient souvent, Aguri avait appris à se plier devant leur entêtement. Elle aussi était entêté, à sa façon. Face à la défaite, elle acceptait le sort comme il venait, mais la japonaise avait souvent des idées de revanche. L'esprit de compétition entrait en jeu.
Et puis, il tapotait de sa main sur la place du banc à ses côtés. Quoi... ? Ce qui à l'habitude vexerait une fille, Aguri elle, ne comprenait pas. Elle penchait la tête sur le côté, son regard inexpressif mais intrigué. C'était quoi ce... Goût ?

« … Tu es cannibale ? »

Question tout à fait innocente venant de sa bouche. Et pas que cela lui faisait peur, si elle n'était pas à son goût, mais tout de même. Rencontrer un cannibale, c'était une première pour elle. Elle se grattait le cuir chevelu, puis se décidait à s'asseoir en prenant au passage dans son sac deux mandarines. Elle s'installait sur le banc à côté du lycéen et épluchait les fruit délicatement.

« Ça devrait aller dans quelques minutes pour ton visage. », elle coupait la mandarine en quartiers et les donnait à Kagami, « En attendant, tu devrais reprendre un peu de forces. »

Parler. Cela faisait tellement longtemps qu'elle n'avait plus parler. Qu'un sujet de conversation ne lui avait plus traverser l'esprit. Elle épluchait la seconde mandarine et mangeait un quartier, le regard vide, fixant un point invisible devant elle.

« Ton équipe... Va-t-elle joué à la Winter Cup ? »

Après l'échec cuisant de Tôo contre Seirin, étaient-ils encore motivés ? C'est ce que Aguri se demandait...