Mois de novembre. Le froid s'installait de plus en plus sur le Japon, et Akashi était définitivement irrité. D'accord, il n'avait jamais été très sympathique ; et le peu de personnes qui le supportaient finissaient toutes par se barrer. D'un côté, il s'en fichait ; de l'autre, là, ça l'agaçait carrément. Et ça l'agaçait de l'agacer. En gros c'était chiant, et il était à deux doigts de péter un câble tout seul. Pour un peu, on aurait pu apercevoir une aura malfaisante tournoyer autour de lui, semblable à un nuage d'orage. Autant dire que, dans sa classe, personne n'osait s'approcher de lui ; et dans les couloirs, tout le monde faisait un détour d'au moins cinq mètres pour être certain d'être hors de portée de la lame de ses ciseaux, qu'il ne pouvait s'empêcher de faire claquer désagréablement. Et, lorsque les couloirs étaient trop étroits pour permettre aux élèves de s'échapper – le principal songeait sérieusement à faire rénover le lycée ; c'était tout de même mieux que d'appeler les parents d'élèves traumatisés environ trois fois par semaine pour les convaincre de ne pas appeler la police –, les autres étudiants longeaient les murs en priant pour que rien de trop grave ne leur arrive.
Bref, Akashi en avait marre.
Cela faisait à peu près un mois qu'Hayato le fuyait. Oh, bien sûr, ils se croisaient, de temps à autres. Mais franchement, au bout d'un moment, c'était assez irritant de le voir faire demi-tour quand il l'apercevait au détour d'un couloir.
Aussi décida-t-il, ce jour-là, d'aller lui rendre directement visite dans sa classe durant la pause déjeuner. Son plateau de shogi sous le bras, un sourire agacé sur les lèvres, il traversa la moitié du lycée pour rejoindre la salle. Arrivé devant la porte ouverte, il put constater que la salle était à moitié vide ; quelques personnes restaient à discuter et, un peu plus loin, Hayato semblait griffonner sur son calepin. Lorsqu'Akashi fit un pas pour entrer dans la classe, l'air sombre, la plupart des élèves interrompirent leurs discussions et s'éloignèrent quelque peu de la porte à sa vue. Il avança de quelques pas, s'arrêta devant le bureau du blandin, et laissa tomber avec mauvaise humeur son plateau de jeu sur la table.

– Yo, Haya-chan. Ça faisait... longtemps.

Il marqua une pause, haussa un sourcil.

– Alors, on se la fait, cette partie ?

Il n'allait pas non plus lui avouer qu'il lui avait manqué.

L'auburn s'assit face au troisième année, sa jambe sur la chaise, et repliée contre son torse. Il s'appuya sur celle-ci de son bras droit, fixa le blandin dans les yeux, les lèvres pincées. Le sourire amusé d'Hayato eut tendance à l'énerver sur le champ, mais il ne dit rien, se contenta de continuer à faire de même, d'un rictus froid et sans vie. Il le suivit des yeux pendant qu'il disposait les pions sur le plateau de jeu.

-Avec plaisirs Aka-chan ♥. J'espère que tu me fera la gratitude de me laisser commencer, je ne pense pas avoir encore ton niveau ♥.

Le rictus d'Akashi s'agrandit, et il haussa un sourcil. « Aka-chan », hein ? C'était quoi, ça ? Le retour soudain du journaliste chiant, cynique et trop curieux ? Enfin, pas si soudain que ça, à bien y repenser ; il avait bien eu le temps de se reconstruire son masque devant son air si pitoyable.
Son sourire se fit un peu moins mauvais, et ses yeux brillants se fixèrent à nouveau dans les siens, une expression presque lascive luisant dans ses pupilles.

– Vends-moi du rêve, ricana-t-il. Essaie de me battre. Ou, au moins, de me divertir suffisamment longtemps.

Akashi Seijuro, ou le retour de l'égocentrique-égoïste-narcissique-arrogant, II. Après tout, ça non plus n'allait pas changer ; il était ce qu'il était... Soit un sacré salaud. Et plus il fixait le visage de son aîné, plus il sentait à nouveau ces sentiments contradictoires monter en lui : l'intérêt, et, surtout, l'envie. L'intérêt pour ce personnage si peu conforme ; l'envie d'en savoir plus sur lui. Toujours de l'intérêt, en fait. Mais bon.

– J'en attends beaucoup de toi, tu sais, Haya-chan~

Et il ne mentait pas vraiment en disant ça. Probablement n'en avait-il jamais autant attendu de personne ; mis à part son équipe de basket actuelle, et celle de son collège, bien entendu. Mais là, c'était encore différent.
Ici, quel genre de victoire recherchait-il ?

Akashi continuait à le fixer, l'air impénétrable.

- Je me demande si c’est une bonne chose pour moi à ce stade ♥.

Un ricanement mauvais lui échappa, et il secoua la tête, amusé. Définitivement, ce type était lucide ; c'est bien. Au moins, il n'avait pas besoin de lui faire comprendre que sa situation restait précaire, et que au contraire, loin de lui donner envie d'abandonner, cette résistance dont il faisait preuve afin de le maintenir à l'écart lui donnait de plus en plus envie d'insister, jusqu'à voir son image se craqueler définitivement. Et, lorsqu'il y serait parvenu, il sera difficile de recoller les morceaux.
Il ne comprenait pas pourquoi il pensait d'une telle manière. Certainement y avait-il ce besoin impérieux de lui faire comprendre qu'ici, ce n'était pas lui qui décidait mais bien le basketteur ; que ce n'était pas à lui de le regarder de haut, alors qu'Akashi lui était en tout point supérieur. Certainement juste pour lui apprendre la peur, la véritable peur ; celle qu'il était censé inspirer à tout un chacun. Mais il n'en était rien. Il lui résistait, et, en plus, il aimait ça.
Quelle déchéance.

- Crois-moi, ce n'en est pas une~

Il l'observa avancer sa pièce sur l'échiquier, et, perdu dans ses pensées, voulut en avancer une à son tour ; il avança sa main, mais interrompit soudain son geste. Les autres élèves de la classe, dans son dos, ne cessaient de murmurer d'un air effrayé. Il poussa un long, très long soupir ; en espérant que celui-ci réussisse à le calmer. Sans effet, cependant. il se retourna sur sa chaise, les fixa de ses yeux sombres, toujours de mauvaise humeur - parce que juste voir son stalker préféré ne suffisait pas, semblait-il.

- Dites-moi, vous n'avez pas l'impression d'être de trop, dans cette salle ?

Ils s'interrompirent, semblèrent déglutir un instant. L'une des élèves sembla bafouiller quelque chose.

- Ah, euh... Oui, euh, non, mais.. Euh... O-on va y a-aller, assura-t-elle, avant de tirer ses amis par le bras et de les faire quitter la salle de classe.

Nouveau soupir, et Akashi s'étira comme un chat.

- On ne s'entendait plus penser.

Et il avança sa pièce sur l'échiquier.

-Tu es bien méchant avec eux Aka-chan ♥. Tu sais il faut parfois savoir supporter les autres même quand il sont très agaçants.

Le basketteur l'observa sans ciller, suivait le moindre de ses mouvements de ses iris sombres. La respiration calme et maîtrisée, il tapait du doigt contre sa tempe. Pourtant, malgré son sourire, malgré son expression des plus sereines – ou, du moins, une expression aussi sereine que ce que quelqu'un comme Akashi pouvait avoir – il ne jubilait pas. Il en était même loin. « Méchant » ? Oh, ça oui, il l'était ; il pensait bien le lui avoir fait comprendre lors de leur dernière réelle entrevue. Il pensait aussi qu'il avait compris que ce n'était pas en essayant de le faire reculer qu'il ferait marche arrière.

– Oh, mais supporter, je le fais très bien, crois-moi.

Nouveau sourire, plus un rictus méprisant qu'autre chose, et son regard se fit plus dur. Avec un peu de chance, il comprendrait ce qu'il avait à lui faire passer. À savoir quelque chose comme « Toi, ne sois pas trop chiant ; ce serait dommage d'abîmer ton visage », ou bien encore comme « Jusque-là, tu n'étais pas trop agaçant, mais vraiment, maintenant, ferme-la ». Il se doutait néanmoins qu'il cherchait, plus que tout, à le mettre en colère ; il l'avait humilié la fois précédente, il ne se ferait pas prier pour le pousser à bout. Pourtant, plus il le regardait le regarder, plus... Plus c'était agaçant. Et moins il arrivait à garder son calme. Bref, c'était chiant. Encore.
Il baissa les yeux vers le plateau, les cligna plusieurs fois, atterrissant à nouveau sur la terre ferme. Pour un peu, il aurait secoué la tête pour reprendre un peu plus ses esprits ; mais Hayato était en face, et ça n'aurait vraiment pas fait classe. Et Akashi étant toujours classe... Enfin voilà, quoi.
Il avança sa pièce, pinça les lèvres, et resta ainsi quelques instants à regarder les différents pions, avant de relever le regard vers lui, son sourire abandonné, neutre, la tête penchée de quelques degrés.

– La preuve : tu m'agaces, souffla-t-il.

Le bougre semblait étouffer un rire pourtant discret, mais qui n'échappa pourtant pas aux yeux perçants du point guard. Dans sa tête, sur l'écran blanc de sa conscience, il pouvait par ailleurs lui-même s'apercevoir avec une petite veine palpitant sur sa tempe, agacé par ses manies, sa voix, son visage, tout, tout ; absolument tout. D'accord, il recherchait cette confrontation. Il recherchait un adversaire digne de se mesurer à lui sur ce genre de petits jeux et combines pas tout à fait honnêtes, et souvent même très, très désagréables. Tout le temps, à vrai dire. Il recherchait la confrontation, oui, ce devait être ça. Encore un peu lui faisait-il du rentre-dedans ; c'était du pareil au même. Parfois, à s'entendre penser de cette manière, il se demandait quel âge il avait ; avant de se rendre compte que, définitivement, Akashi n'avait jamais tort. Jamais.
Il voulut reprendre son sourire, toujours aussi calme, toujours aussi parfait dans sa tête et dans l'apparence qu'il laissait voir de lui-même, mais fut interrompu par les dires du blandin, toujours aussi narquois :

-Je dirais que c'était le but Aka-chan ♥. Et puis...

Et puis ? Et puis quoi ? Évidemment que c'était le but. Pour tout dire, il aimait être agacé en même temps qu'il détestait ça – comme toute personne normale devrait généralement le ressentir, à dire vrai. Néanmoins, il y avait encore autre chose qui lui échappait dans son propre comportement : la raison de ce besoin impérieux d'avoir toujours quelque chose en face, pour se mesurer à lui. Cette fois, il avait choisi quelqu'un de fort là-dedans ; souhaitait-il, au fond, se mettre en colère ? Peut-être pour se donner l'impression d'avoir une raison de le rabaisser ensuite plus bas que terre, comme un vulgaire caniche.

-Ce n'est pas comme si j'avais besoin de t'agacer pour gagner. Je ne pense pas risquer grand chose de ta part sans vouloir te vexer ♥.

Un gros blanc s'ensuivit, durant lequel ni Hayato, ni Akashi ne parla. Les deux restèrent silencieux, l'un retenant ses rires, l'autre le trop plein de colère qui sommeillait jusque-là en lui. Probablement était-ce le mot de trop.
Il ne prit ni la peine de sourire, ni de cacher la froideur de son regard de tueur. Froid – glacial, même. Et, pourtant, tout au fond, une parcelle de vie brillait encore : une flamme qui prenait de l'ampleur, pour tout embraser : son impatience, son emportement, son irritation ; sa rage, sa fureur, même. Un incendie incandescent, et surtout terrifiant.
Il cligna des yeux une fois. Deux fois.
Akashi ne parvenait toujours pas à y croire.

– « Sans vouloir me vexer », hein ? souffla-t-il, serrant inconsciemment le poing.

Les rumeurs sont fausses : Akashi n'est pas violent. Il a simplement, plus que les autres, du mal à garder son sang-froid. C'est tout.
Le plat de sa main s'abattit sur le petit bureau, et l'autre attrapa le troisième année au col, une lueur meurtrière dans le regard. Penché au travers de la table, forçant l'autre à faire de même, leur nez se frôlaient.

– Apprends où se trouve ta place, Hayato, gronda-t-il, menaçant. Et restes-y.

Il marqua une pause, accentua la pression qu'il exerçait sur le col de l'autre, et le rapprocha encore. Cette proximité lui rappela, à peu de chose près, le court baiser que l'aîné lui avait donné, et cette pensée ne fit rien pour l'adoucir.

– Si tu insistes dans cette voie, ce n'est pas que cette partie que tu risques de perdre. Tu t'opposes à bien plus fort que toi ; restes assis comme le bon chien que tu es, et peut-être que je consentirais à ne pas te tuer pour ton insolence déplacée.

Il le lâcha avec violence, et Hayato fut quelque peu projeté contre le dossier de sa chaise. Retournant s'asseoir au fond de la sienne, il déplaça avec rage l'une de ses pièces pour prendre l'une de celles d'Hayato, lèvres pincées.

– Bats-moi, et après seulement tu auras le droit de la ramener.

La peur et la colère se confondent dans ses yeux pâles. Il le voit le fixer, rediriger toute sa haine sur lui ; sa haine, et son amour-propre qu'il avait, il fallait bien le dire, bien malmené. Sans parvenir à réellement le détruire, cela dit ; encore une chose agaçante. Décidément, Akashi était de bien mauvaise humeur aujourd'hui. Il ne savait même pas ce qui l'avait poussé à aller le voir en cette journée, plutôt qu'une autre. Certainement l'accumulation de toute cette... frustration qu'il n'arrivait pas réellement à identifier y était-elle pour quelque chose ; ce qui était sûr, en tout cas, c'est que le troisième année n'était réellement pas prêt à se laisser faire, trimballé gentiment dans tous les sens par le psychopathe manipulateur. Parce que oui ; manipuler les gens, Akashi aimait ça – il adorait. Et il n'aimait par ailleurs pas spécialement voir souffrir les autres – quoi que, parfois, ça le démangeait, mais il n'y pouvait pas grand chose. Mais à le voir refuser de se soumettre à ses ordres le rendait tellement mécontent – il avait pris l'habitude que l'on se plie à ses moindres caprices – que ça le rendrait presque dingue si il ne l'était pas déjà.
Cruel dilemme pour un type qui, décidément, ne parvenait pas à comprendre ses propres réactions.

- Tu es si haïssable Aka-chan ♥. Je ne m'étonne pas que les gens te fuient si tu as toujours autant de mal à garder ton calme.

Il tiqua. Bien sûr qu'il était haïssable. Il faisait tout pour qu'on le déteste ; et si, réellement, on avait l'air d'être un minimum attaché à lui, il avait une nette tendance à lui faire lâcher prise. Les seules personnes qu'il avait acceptées dans son entourage étaient les basketteurs de la Kiseki no Sedai, mais aussi ceux de son équipe actuelle. Eux, ils étaient ses « amis ». Plus une famille – dont il était la mère capricieuse et ayant réponse à tout – que des amis au sens originel du terme, mais soit. C'était déjà ça.
Et lui, là, il débarquait, le poursuivait partout, pour finir par lui dire qu'il le détestait ? C'était quoi, ça un test ?
Il tiqua une seconde fois. Un test ? Peut-être que c'était ce que lui-même était en train de faire passer au blandin, à bien y réfléchir. Ou l'inverse. Un test ? Pour savoir quel était son degré de résistance ? Ça ne tenait pas debout. C'était quoi cette connerie, sérieux ?
Il ne le vit même pas prendre une de ses pièces sur l'échiquier.

-Quand à ma place sache que je n'ai aucune intention de me laisser dominer par un jeune arrogant de deux ans moins âgé que moi ♥.

Ce fut, une fois de plus, le mot de trop. Akashi n'était pas arrogant. Il connaissait ses capacités ; et peut-être s'en vantait-il plus que nécessaire, mais il était certain qu'il n'avait en aucune façon tort à ce sujet-là.
Cette fois, il se leva, lèvres toujours pincées, bouillonnant intérieurement. Si ça n'avait pas été lui, il lui aurait probablement déjà cassé le bras. Mais le souci était que c'était lui, qu'il n'y parvenait pas, et que ça l'emmerdait sincèrement. Bordel.
Il s'approcha de lui avec lenteur, avant de le rechopper par le col, mais, cette fois, le fit se soulever de sa chaise pour le plaquer avec violence dos contre la table, faisant voler le plateau de shogi ainsi que ses pièces sur le sol. Une main retenant son épaule bien calée contre la table, l'autre serrée en un poing qu'il abattit juste à côté de sa tête, il se sentit trembler de rage. Là, il en avait assez. Nan mais il se prenait pour qui ?

– C'est toi. C'est toi qui me force à agir d'une telle manière ! Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même, c'est entièrement de ta faute. Je ne t'ai jamais demandé de me suivre partout où j'allais comme un petit toutou. Je ne t'ai jamais demandé de péter ton câble, de m'embrasser, et je t'ai encore moins demandé de venir foutre le boxon dans ma tête !

Sa voix avait, cette fois-ci, largement dépassé le seuil de décibels habituel, sans pour autant entrer dans la catégorie du cri. Mais bon, il s'en foutait un peu, à vrai dire.

– C'est quoi ton but, exactement ? cracha-t-il, venimeux.

Il resserra sa prise sur le tissus, l'attrapa encore de l'autre main pour le soulever légèrement, et fit s'abattre à nouveau son corps contre le bureau.

– Me faire péter un câble ? Merci bien. Ce n'est sûrement pas à toi que ça profitera, crois-moi.

Se retenant de lui lancer son poing en plein visage, il prit une grande inspiration sensée le calmer, mais qui ne fit pas réellement avancer les choses.

– Apprends où se trouve ta place, et arrête-toi avant de provoquer des choses que tu ne seras pas à même de contrôler. Quand on est dans une telle situation, il vaut mieux se la fermer.

Il ne le lâcha pas, le força même encore à rester dans cette position, ses yeux brillants de rage.
On ne provoque pas Akashi Seijuro. Et il comptait bien le lui faire comprendre.

Ses poings le démangeaient. Il ne rêvait que de les lui abattre sur le visage, de sentir craquer son nez sous ses coups ; il ne souhaitait que d'enserrer son cou entre ses doigts effilés, et de serrer, serrer, serrer... Juste voir son souffle s'envoler dans les airs. Mais il ne pouvait pas bouger, rien faire ; il restait figé, ses pupilles de félin fixées sur le visage du membre du club de journalisme, les lèvres toujours pincées. Il tremblait encore un peu, toujours de colère, qui refluait avec lenteur dans ses entrailles.

-C'est toi qui m'a provoqué Akashi. Je ne t'ai jamais demandé de venir me chercher dans ma classe. Tu as accepté que je vienne foutre le bordel en faisant ça alors assume. Je suis peut-être un emmerdeur qui ne se prend pas au sérieux mais ça ne veut pas dire que je n'ai pas de fierté. Je ne m'écrase jamais et surtout pas sous la menace.

C'est vrai ; c'est vrai, mais il ne l'avouera jamais. Akashi aussi est fier – trop. Si il sait se rendre compte de ses erreurs, il refuse de les assumer. Cette fois n'était pas une exception, évidemment. Il ne fallait pas croire, non plus. Mais il devait avouer qu'il était légèrement surpris, et pas que. Étonné, surpris, mais aussi impressionné par le cran dont l'autre faisait preuve. Sa respiration, rapide, se calma peu à peu, mais sa colère ne redescendit pas pour autant.
Son cœur battait pourtant la chamade – traître. Il n'arrivait pas à se concentrer sur ce qu'il pourrait, éventuellement, lui répondre. À vrai dire, il n'avait pas la moindre envie de lui répondre quoi que ce soit ; et crier un peu plus ne l'aurait de toute manière que fait se ridiculiser un peu plus. Il n'était pas idiot, il savait où se situait sa limite ; et il l'avait dépassée, d'un seul pied cependant. Il ne manquait plus qu'à la franchir du second.
Pendant qu'Hayato parlait, Akashi relâcha sa prise de sa main gauche, la reposa à côté de la tête du blandin, ses yeux plantés dans les siens, sourcils toujours froncés, mais une lueur indescriptible et quelque peu lascive dansant au fond de son regard.

– Tais-toi, Hayato... souffla-t-il en se penchant vers lui.

Quelque chose devait s'être déconnecté de son cerveau à cet instant-là pour qu'il réagisse de cette manière. Leurs visages lui semblaient bien trop proches, il ne parvenait à se sortir de la tête leur baiser de la dernière fois et, surtout, il voulait qu'il se taise. Il ne déposa pas simplement ses lèvres sur les siennes ; il les lui imposa, fortes, déterminées, conquérantes. Il était complètement taré, mais il s'en fichait.

Les lèvres fines et pâles du blandin s'ouvrirent, et sa main glissa jusqu'à sa nuque, appuyant dessus avec défiance, cherchant probablement à dominer l'échange. Évidemment, Akashi ne se laissa pas faire – ce n'était pas son genre, il ne fallait pas croire tout ce qu'on raconte, non plus. De plus, il s'imagina probablement, durant quelques instants, vouloir le mordre, mais refréna bien vite cette envie, passée à la trappe et jetée aux oubliettes sans le moindre tact. Ce n'était pas la première fois qu'il laissait ainsi ses pulsions le guider ; mais, cette fois-ci, il lui sembla que la direction à prendre restait étrangement houleuse. Frapper, il savait faire. Laisser son corps parler pour lui de cette manière, en revanche, c'était un petit peu plus compliqué. Certes, il restait cette colère qui lui incendiait les entrailles, mais, comment dire... C'était pas la même chose qu'à l'accoutumée, et cela, même lui s'en rendait aisément compte ; malgré son handicap sentimental assez évident. Bref, tout cela pour dire que, cette fois, c'était aussi étrange qu'atrayant, et qu'il comptait bien profiter de ce petit instant d'égarement comme il se devait. On ne perd pas le contrôle de son corps pour plaquer un incommensurable chieur diablement sexy sur une table et l'embrasser à pleine bouche tous les jours, enfin ! Il avait assez de jugeote pour s'en rendre compte, et se molesterait plus tard pour de telles pensées – qui, définitivement, ne lui seyait pas réellement...
Le souffle venait à leur manquer, aussi se séparèrent-il, reprenant leur souffle, un peu accéléré par leur légère déviance. Akashi s'éloigna immédiatement d'un pas ou deux, il ne savait plus vraiment, pour venir s'appuyer sur une autre table, fixant toujours le visage pâle du membre du club de journalisme. Il en venait presque à oublier pour quelle raison il l'autorisait à rester avec lui : écrire son article. Il aimait qu'on parle de lui, et qu'on s'intéresse à lui encore plus. C'était ça, bien évidemment. Ce type, il ne le supportait que pour ça. Et après, quand l'article sera posté, publié, ou que savait-il encore, il disparaîtrait, et le jeune prodige serait enfin tranquille.
Enfin tranquille. Loin de lui offrir ce possible apaisement tant attendu, il se sentait au contraire gronder de l'intérieur. Il n'avouerait pas, à qui que ce soit, et encore moins à lui-même, que ces instants passés avec lui changeaient un peu de son quotidien, et lui donnaient l'impression de ne pas totalement s'enliser dans ses convictions – mais, toute façon, ses convictions devraient-être celles de tout le monde, merde à la fin ! – qui au final se révélaient stupides et fausses. Bon, ça non plus, il ne l'avouait pas, et ne le pensait même pas totalement, mais, en suivant le petit cheminement de ses pensées, c'est à ce point-là qu'on arrive. C'est-à-dire au point « bon sang mais ce type me tape sur les nerfs mais ça me ferait encore plus chier qu'il se barre parce que, tout de même, j'ai fait l'effort de m'adapter, alors maintenant, qu'il assume sa connerie et qu'il reste, quoi » – ou quelque chose du style.

-Si j'avais su que tu comptais me faire taire comme ça je t'aurais énervé plus tôt ♥.

Hayato le tira de ses pensées, la voix mesquine, mais un peu plus fade que ce qu'il avait l'habitude d'avoir.

–Tch.

Avait-on besoin de préciser que la répartie de notre bel auburn avait ses limites ?

–Tu ne voudrais pas que je recommence, crois-moi, sourit-il le plus cyniquement du monde. Même si il en faudrait bien peu pour que ça arrive à nouveau.

Il pencha la tête sur le côté de quelques degrés, perdit son sourire en un instant et secoua la tête avec lenteur. Il n'arrivait toujours pas à croire qu'il avait pu dire une chose pareille.

– Oublie ça, lâcha-t-il, lèvres pincées et sourcils à nouveau froncés.

Akashi s'éloigna de la table, s'approcha peu à peu de la porte de sortie. Et, avant de la franchir, se souvenant de son jeu de shogi encore éparpillé sur le sol, il laissa tomber, son sourire ironique retrouvé :

–Ah, au fait, je te laisse le plateau~ Ça me donnera une bonne raison de revenir te voir, Haya-chan~

Puis il se détourna, sortit de la salle et rentra directement chez lui, mains dans les poches et d'encore plus mauvaise humeur qu'à son arrivée dans la classe du troisième année.
Quelle connerie, quand même...