Voilà un an et quelques mois qu'elle connaissait ses couloirs blancs par coeur. Cette odeur lui était devenue familière. Elle voyait les mêmes visages, entendaient les mêmes. Mais les malades étaient souvent différents. Il y en avaient toujours des nouveaux. Tsubaki qui venait ici chaque mois pour son contrôle mensuel était comme une sorte d'habituée. Pour un hôpital, c'était assez déprimant. Mais heureusement que ce n'était qu'une fois par mois. Ce n'était pas comme si elle y restait tous les jours non plus.

Aujourd'hui, comme à chaque fois, elle écoutait son pneumologue, le Professeur Nakajima qui lui faisait un bilan de l'avancement de sa maladie. N'ayant pas fait d'effort physique trop importantes ces derniers mois, il avait très faiblement progressé. Elle le félicita pour son assiduité à suivre son traitement scrupuleusement et les nombreuses précautions qu'elle prenait. La rosette avait longuement entendu la même phrase et ne fut plus du tout étonnée. Leur entretien prit fin et la lycéenne put se retirer. Elle se dirigea vers les portes du grand hall lorsqu'elle remarqua que quelque chose d'anormal se passait dehors. Les vents soufflaient forts. Anormalement forts. Elle décida de rebrancher ses oreilles au monde réel pour écouter ce qui se passait.

-Une tempête se dirige en ce moment sur le Japon, déclarait une voix dans la radio du hall. Nous vous recommandons de rejoindre au plus vite votre domicile ou le centre d'hébergement le plus proche de vous...

Une tempête ? C'était problématique. Kumako fouilla dans les poches de son pull mais n'y trouva que du vide. Elle avait dû oublier son portable sur le bureau du Docteur. Elle rebroussa chemin pour aller le chercher et ainsi prévenir sa mère qu'elle était dans un endroit sûre et qu'elle n'avait pas à s'inquiéter. Sur sa route, elle passa devant une chambre d'hôpital dont la porte était entre-ouverte. Elle ne fit pas très attention lorsqu'elle crut apercevoir une touffe de cheveux bleus clairs qui lui était familier. Elle s'arrêta et regarda le nom du patient. C'était bien lui.

Elle levait le bras et toqua doucement contre la porte. Une fois qu'on l'autorisa à entrer, elle fit glisser la porte.

-Tetsuya, appela-t-elle doucement.

-Tsubaki ?

La susnommée hocha imperceptiblement la tête puis referma la porte derrière elle. Elle s'approcha de son ami. Il était comme n'importe quel patient avec sa robe d'hôpital. Que s'était-il passé ? Il s'était blessé ? Il était soudainement tombé malade ? Bien qu'elle paraissait un peu ailleurs à l'extérieur, à l'intérieur, elle était très inquiète. Pourquoi était-il dans un hôpital ? Maintenant qu'elle y songeait, il y a longtemps qu'elle n'avait pas eu de tête à tête avec lui. L'époque de l'école primaire où ils étaient toujours fourrés ensemble lui manquait un peu. Mais l'heure n'était pas vraiment aux réminiscences.

Tsubaki prit une chaise pour la rapprocher du lit du bleuté. Elle fixa longuement de son air endormi sans rien dire. Elle remarqua de très légers sillons sous ses prunelles céruléens. Il avait pleuré. Et longuement en plus. A cette pensée, ses doigts fins se resserrèrent un peu plus sur ses genoux. Qui lui avait fait du mal ? Qui avait bien pu le mettre dans cet état ? Il était clair que si elle découvrait le coupable et qu'il se retrouvait par hasard sur son chemin, il ne resterait sûrement plus grand chose de lui. Mais elle s'occupera de son cas plus tard. Son regard pourpre examina le corps de son ami. Rien au bras visiblement. Aucune tension anormale au niveau du buste. Donc, le problème venait sûrement de ses jambes.

Bien consciente que le dévisager ainsi le rendrait mal à l'aise, elle s'arrêta là puis replongea son regard dans le regard azuré du jeune homme. Ce qu'elle y vit la troubla et la plongea dans une colère sombre qu'elle intériorisait pour ne pas l'alarmer. On ne l'avait pas visiblement que blessé physiquement mais psychologiquement également. Il n'aurait jamais pleuré pour une blessure. Mais pour une blessure du coeur, peut-être que... Un prénom lui vint en tête immédiatement. Si elle voyait ce satané as, elle le défigurerait tellement que même Satsuki n'allait pas le reconnaître. Elle n'avait aucune preuve que c'était lui l'auteur du mal de Tetsuya mais qu'importe. Son instinct le lui soufflait. Et jusqu'à maintenant, son instinct ne lui avait jamais fait défaut.

-Tu veux quelque chose ? Demanda Tsubaki presque dans un murmure.

Elle n'allait pas le brusque pour tout lui raconter. S'il avait envie de lui dire, qu'il le fasse. Elle se contentera de l'écouter et de l'aider si possible. Tous les deux parlaient peu en public. Mais lorsqu'ils étaient seuls, ils pouvaient parler des heures durant. Tsubaki adorait Tetsuya plus que tout au monde. Il était un précieux ami et ce depuis l'âge de 6 ans. Elle aurait fait n'importe quoi pour lui, pour son bonheur, pour qu'il soit heureux. Et le voir ainsi l'attristait et dans ces moments-là, elle se haïssait. Pour une fois qu'il avait besoin d'elle, elle n'avait pas été là. Pour une fois que ces mains pouvaient faire quelque chose, elles n'avaient été d'aucune utilité. On lui disait qu'elle était plus forte que n'importe qui, même son père, le maître en art martiaux, cela ne l'enchantait pas du tout.

Parce qu'une personne qui est forte, c'est quelqu'un qui ne se contente pas de se protéger soit-même mais aussi ses proches.

C'était comme ça qu'elle pensait. Et Kumako pensait qu'elle était faible.

-A moins que tu ne veuilles rester seul ? Rajouta-t-elle d'une voix douce avec une pointe d'inquiétude tout de même.

Dehors, la tempête se déchaînait. Dans les couloirs, les gens s'agitaient.

Tetsuya fit non de la tête à sa première question. Il n'osait pas vraiment parler, on dirait. Tsubaki était plutôt patience et le laisserait aller à son rythme. Il sembla hésiter pour la seconde question. Il ne voulait pas qu'il reste. Mais d'un autre côté, être seul n'était pas vraiment joyeux. S'il restait seul, il allait encore broyer du noir et ça, Tsubaki ne voulait pas. Comme pour confirmer, le bleuté sortit sa main de dessous la couverture et le posa sur la sienne. Elle le regarda un instant puis releva la tête pour l'observer. Il esquissa un léger sourire comme pour la rassurer.

Elle serra doucement ses doigts puis se leva pour s'asseoir sur le bord du lit. Elle posa sa tête très lentement sur son torse tout en évitant ses jambes. Elle ferma ses yeux, écoutant les battements de son coeur. Cela lui rappela des souvenirs. Lorsqu'ils étaient enfants, lorsque Tsubaki s'était disputée avec quelques amis, elle venait sécher ses larmes dans les bras de Tetsuya. Ses doigts parcourant sa chevelure rose la calmaient automatiquement. Sa voix douce et rassurante l'apaisait. Aujourd'hui, c'était à son tour de le calmer et l'apaiser.

Elle releva finalement la tête et plongea son regard dans le sien.

-Tu peux tout me dire, Tetsuya. Peu importe ce qui arrive, je serais toujours là pour toi. Comme je te l'avais promis.

Elle tendit son petit doigt et sourit doucement.

-Toujours. Parce que j'ai-

La rosette s'arrêta au beau milieu de sa phrase. Elle tourna vivement la tête et vit une énorme pancarte de publicité foncer vers les vitres de la chambre. Sans réfléchir, Kumako prit Kuroko dans ses bras, l'éloigna du lit dans lequel elle donna un coup de pied pour le mettre sur le côté, faisant office de bouclier. Un grand fracas se fit entendre et des milliers d'éclats de verre volèrent dans la pièce. Tsubaki resserra son emprise sur son ami d'enfance, alors que le vent secouait la petite pièce. C'était bien la première fois qu'elle voyait un vent de cette force. Elle relâcha un peu son ami et regarda autour d'elle. La porte était bloquée par l'affiche publicitaire d'un... maid café, semble-t-il. Il fallait qu'il sorte d'ici, c'était trop dangereux.

-Ca va, Tetsuya ? Tu n'as rien ? Demanda la rosette l'air préoccupé.

Si préoccupée qu'elle ne remarqua pas les quelques blessures qu'avaient provoqués quelques morceaux de verres sur ses jambes ou son visage.

-Tu es blessée Tsubaki.

Tsubaki ressentit comme une sorte de piqûre lorsque Tetsuya retira le morceau de verre qui s'était figé dans sa joue. Le liquide chaud et écarlate coula sur sa peau mais elle ne s'en formalisa pas plus que ça. Une petite coupure n'était pas comparable à une jambe ou un bras cassé.

La rosette regarda autour d'elle. La porte était bloquée. Passer par la fenêtre. Ça relevait du suicide sans compter que dehors les attendait une tempête, autant oublier. Un gémissement de douleur de la part de Tetsuya l'obligea à retourner son attention vers lui. Il tenait sa jambe entre ses mains. Il s'était bien blessé à la jambe. Il fallait qu'ils aillent d'un endroit plus sûr. La lycéenne porta une nouvelle fois son regard sur la porte condamnée. Sauf si...

Sans vraiment lui demander son avis, Tsubaki prit le joueur fantôme dans ses bras et le porta dans ses bras. Bien qu'elle ne faisait plus de basket, elle veillait quand même à ne pas laisser son corps se rouiller. Ses entraînements plus sa force surnaturelle devrait lui permettre de dégager la porte.

-Accroche-toi, Tetsuya, recommanda-t-elle.

Ne se souciant même pas s'il y avait des personnes de l'autre côté, elle pivota sur sa jambe gauche et son pied droit levé, frappa de toutes ses forces le panneau qui, sous l'énorme puissance du coup, se brisa en deux. La porte juste derrière fut violemment projeté en arrière. La voie maintenant dégagée, ils purent se retrouver dans les couloirs où plusieurs personnes restèrent éberlués devant le spectacle qui s'offrait à eux. Elle ne porta pas attention à leur état de choc et se dirigea vers le bureau de son pneumologue, un endroit qu'elle savait sûre. En plus, elle avait oublié de récupérer son portable.

-Nakajima-sensei est très gentille. On sera à l'abri dans son bureau, expliqua Tsubaki, portant toujours son ami d'enfance.

Comme elle s'y attendait, l'aile où se situait le bureau de sa pneumologue était à l'écart, éloigné de toute agitation mais peut-être pas de la tempête. Une fois arrivé à destination, elle réussit à ouvrir la porte, sans la défoncer toute fois. La jeune femme des sciences se levaient un peu brusquement de son fauteuil en voyant l'état de sa patiente et du malade qu'elle transportait.

-Mademoiselle Kumako, que s'est-il passé ? Toutes ses égratignures ! Et ton ami ! Allonge-le sur le lit, j'apporte de quoi penser tes plaies.

Tsubaki n'eut pas le temps d'en placer une, elle ne parlait pas beaucoup non plus. Même durant ses visites chez elle, elle se contentait d'utiliser des phrases courtes et précises, choisissant soigneusement ses mots, parler avec une lenteur qui lui était propre. La rosette transporta Tetsuya sur un lit séparé par un rideau, ce même lit où elle s'allongeait lorsqu'elle se faisait ausculter. Après qu'elle se soit assurée que Kuroko soit confortablement installée, Nakajima put enfin s'occuper des blessures de l'adolescente.

-Voilà. Les blessures sont superflues, il n'y aurait plus rien d'ici quelques jours. Je dois vous laisser, on a besoin de quelques bras en plus pour s'occuper de nouveaux arrivants. Sans compter cette histoire de porte défoncée.

Là encore, Tsubaki ne put rien dire, ni même expliquer que c'était sûrement d'elle dont elle faisait allusion. Lorsqu'elle claqua la porte derrière elle, le calme retomba soudainement, si on oubliait le bruit des vents violents à l'extérieur. Un ange passa durant quelques secondes avant qu'un bruit de vibration vint l'interpeller. Elle remarqua son portable, un Iphone ( gosse de riches 8D ) sur le bureau, le prit et répondit à l'appel.

-Oka-san ? … Oui, je vais bien. Je suis encore à l'hôpital. … Non, je n'ai rien... ( Elle toucha du bout des doigts le pansement sur sa joue. )Oui, je ferais attention. … Toi aussi soit prudente, Oka-san.

Elle raccrocha finalement et fixa quelques instants son écran. Son regard tomba sur son sac... qu'elle avait visiblement oublié aussi. Elle retira ses chaussons, prit le sac qui était bourré de friandises et nourritures en tout genre, avant de s'installer sur le lit au côté de Tetsuya.

-J'ai fait les courses avant de venir, expliqua doucement la rosette.

Elle l'ouvrit et fouilla dedans avant de déposer des pockys à la vanille devant le bleuté et au chocolat pour elle. Tsubaki sembla se concentrer sur sa boîte rouge quelques instants avant de relever sa main et de diriger sa main vers le visage de Kuroko et de la posa doucement sur sa joue, traçant du bout de doigts les sillons de larmes. Son regard pourpre se planta dans les yeux céruléens du joueur fantôme.

-Il s'est passé quelque chose... avec Aomine ?

Tsubaki l'écouta, patiemment, sans l'interrompre. Petit à petit, les émotions le bouleversèrent tour à tour, prenant peu à peu place sur le visage d'habitude si inexpressif du bleuté. De la peine, de la tristesse, du désespoir. Comment pouvait-on mettre une personne aussi mal en point ? Comment pouvait-on mettre son ami d'enfance dans un tel état ? Aomine ne le méritait vraiment pas. S'il l'aimait vraiment, il ne l'aurait pas blessé. Aussi bien physiquement que moralement. Et qu'est-ce que c'est que cette histoire avec ce.. ce Aoki, c'est ça ? Il osait tromper son petit-ami en plus ? C'était le bouquet ça ! Daiki ne ressortirait jamais vivant s'il croisait un jour le chemin de Tsubaki.

Les larmes roulèrent à nouveau sur ses joues pales. D'instinct, la rosette prit délicatement ses doigts entre les siens et les mêla, doucement, tendrement, voulant lui apporter un peu de chaleur. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire pour le consoler ? Qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire pour le faire sourire ? Que devais-je faire ? Se répétait-elle sans cesse. Pendant un long moment, cette phrase résonnait constamment dans sa tête. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire pour son entourage ? Quel était le but de son existence ? Toutes ses interrogations la taraudaient longuement. Puis quand elle avait rencontré Akashi et qu'elle avait commencé à sortir avec lui, elle avait cessé de réfléchir à tout ça.


-Je ne sais pas quoi faire, d'un côté je l'aime encore, mais de l'autre je ne peux pas lui pardonner ça et j'en envie d'être très loin de lui, l'oublier...Je suis complètement perdu..

Ce qu'elle devait faire maintenant, c'était de soutenir Tetsuya comme jamais. Elle ne répondit pas tout de suite, choisissant soigneusement ses mots.

-Toutes les personnes sur cette terre finissent par être perdu un jour, ne sachant pas où aller ni quelle direction prendre. Tetsuya n'échappe à cette règle. Moi non plus. Je comprends Tetsuya.

Elle s'arrêta un instant, le laissant assimiler ses paroles. Il était rare qu'elle parle autant.

-Tetsuya est perdu dans son choix entre laisser tomber Aomine ou le pardonner, n'est-ce pas ? C'est normal. Tu as du penser à ce qui se passera si tu choisissais l'un ou l'autre, n'est-ce pas ? Il n'y a pas de bon ou mauvais choix.

Tsubaki se releva et passe ses doigts fins sur son visage pour essuyer ses perles salés et planter son regard pourpre dans les yeux céruléens.

-Tetsuya est le seul à choisir, je n'ai pas le droit de t'influencer dans cette décision. Tu n'as qu'à écouter ton coeur.

Elle retira sa main et vint s'allonger à ses côtés, enlaçant leurs mains une nouvelle fois.

-Mais sache que, si tu es perdu, tu auras toujours un endroit où rentrer. Il n'y a que toi qui décide quand tu as fini de tourner en rond.

-Oui. Mais pour l'instant, je préfère ne pas penser à ça. Je veux me reposer et dormir...Tu reste avec moi?

C' était compréhensible qu'il ne voulait pas s'attarder sur ce sujet. Personne ne veut avoir de problèmes après tout. Mais un jour, il allait devoir les affronter et les régler une bonne fois pour toutes s'il voulait continuer sa vie tranquillement. Tsubaki se blottit bien contre lui, passant un drap sur eux pour les couvrir. Elle tendit son petit doigt.

-Bien sûr que je reste avec Tetsuya. Je te l'ai promis.

Après qu'ils aient à nouveau sceller leur promesse, Tsubaki s'endormit près de lui, avec en fond sonore, les vents forts de la tempête.