Le réveil avait sonné tôt. Les paupières fermées s'ouvrirent, pour laisser passer la lumière du matin au travers d'un regard froid. Mais une lueur subsistait dans ces iris menthe. Elle s'était inscrite au club de basket féminin de Yosen, enfin. La liberté était à quelques mètres d'elle, l'impression de pouvoir se libérer d'un poids. Aguri aurait voulu revoir le garçon qui lui avait appris à jouer et qui avait découvert en elle ce potentiel, mais où était-il ? Elle ne connaissait même pas son nom. Mais elle pouvait tout à fait reconnaître ce visage entre des milliers. Elle pensait à le revoir un jour, elle l'espérait même. Elle s'habillait, d'une manière très excentrique, comme d'habitude. Habillée d'une tunique étrange, de chaussettes roses et noires à lignes et ses bottes blanches. Elle déjeunait, toute seule. Depuis que sa tante était partie enseigner en Europe, il n'y avait plus personne dans cette grande maison, plus personne à part elle. Cela lui était égal, si c'était pour voir ses parents sans rien dire d'autre que « bonjour. Au revoir. » ça n'en valait strictement pas la peine.

Aguri prit son sac, des fruits, une bouteille d'eau et se dépêchait de rejoindre le gymnase de Yosen où l'attendait la capitaine. Selon la coach, le potentiel d'Aguri devait être exploité et ce n'était pas peu dire qu'Aguri avait été excitée à l'idée d'être intégrée à cette équipe. La rouge entrait dans le gymnase en découvrant la seule fille présente. Elle savait dunker, ce qui surpris légèrement l'Hypnotiseuse. Bien qu'elle ne montrait rien, au fond cela l'avait surpris. La demoiselle déjà en uniforme de basket se retournait vers elle en demandant son nom. Elle était effectivement la capitaine, puisqu'elle connaissait son nom. La grande demoiselle s'approchait alors et se courbait devant son aînée.

« C'est exact. Enchantée, Sempaï. »

Elle se relevait en regardant sa capitaine dans les yeux. Aguri espérait que ce regard inexpressif ne la déstabilise pas. Pas tout de suite en tout cas.

« Vous êtes là pour m'évaluer, je vais donc aller me vêtir et vous montrer. »

Toujours un ton distingué et poli, cette manière de mettre en confiance quiconque ferait partie de son entourage proche. Enfin, ces personnes n'étaient pas encore à citer, vu qu'elle n'avait aucun contact proche avec les autres membres de sa classe. En fait on la trouvait trop détachée pour s'en approcher, c'était bien dommage car sa loyauté dépassait les espérances. Elle était étrange, se promenait avec des insectes, leur parlait et s'habillait d'une façon bizarre. Mais voyait-on ce qu'il y avait au travers de ce regard qui n'exprimait que le vide ? C'était encore à prouver. Elle partait donc se vêtir de vêtements sportifs, n'ayant pas encore l'uniforme officiel. Un short et un t-shirt taille XL faisait l'affaire ainsi que ses baskets au vestiaire. Elle revenait ensuite, attachant ses cheveux en une queue. Elle se positionnait devant sa Sempaï, tout en l'observant, inexpressive.

« Je suis prête. »

L'excitation augmentait au fur et à mesure que le verdict approchait.

Amy soutint un regard, comme si elle cherchait à voir si Aguri était déterminée. La rouge plongea son regard dans celui de sa Sempaï ; autant dire qu'elle était bel et bien déterminée à prouver sa volonté. Mais entre-temps, le bras d'Amy vint replacer une mèche d'Aguri derrière son oreille. Légèrement, ses yeux s'ouvrirent, comme si elle semblait plus éveillée, un effet de surprise ; la rouge n'était pas expressive et à cause de cela, son regard était plus endormi. L'impression qu'elle se moquait de tout ce qui l'entourait.

Elle attendit sa Sempaï, alors que celle-ci allait déposer son ballon. Tout en l'observant, Aguri se préparait en étirant ses bras et son corps. La bleu revint près de la rouge, et lui expliqua alors sa manière de faire.

« Très bien. Cela me convient, Sempaï. »

Elle s'écartait sur le côté, pointant du doigt le panier. Aguri esquissait un sourire faible, mais bien présent. Elle savait tirer, des deux comme des trois points, à une certaine distance. Aguri reculait assez loin de la zone des trois points, juste assez pour bien viser. Le ballon dans les mains, Aguri dribbla doucement et alors qu'elle allait viser, sa Sempaï l'arrêtait en plein élan, stoppant toute l'activité de son corps.

… Parler d'elle ? Qu'avait-elle à dire d'exceptionnel ? Elle vivait seule, ses parents ne l'aimaient peut-être pas, son enfance a été un mélange de solitude, de colère et de tristesse alors... Pourtant, son corps se remit à bouger et avec stratégie et force tirée dans son poignet, elle visait le panier, marquant un trois points sans effort. Pendant que le ballon traversait le ciel du gymnase, Aguri se présentait.

« Je m'appelle Aguri Aijiro, j'ai seize ans. J'ai appris le basket avec un garçon de mon quartier. C'est lui qui a découvert avant tout le monde mon talent... » Le ballon entrait dans le panier, comme une scène au ralenti, elle se tournait vers sa Sempaï en souriant maigrement, « Je n'ai malheureusement rien d'autre à dire. Sauf si vous voulez ma biographie entière, Sempaï. Ce qui serait totalement rasoir, en réalité. »

Elle inclinait la tête et retournait chercher le ballon qu'elle fit dribbler en faisant un pas géant, sautant et visant à nouveau le panier. Un deux point, dans le mille. Elle ramassait le ballon, puis se postait devant Amy.

« Pour en revenir à mes capacités, je sais marquer des deux points et des trois points. Je peux être en défense, mais ma spécialité, ce sont les passes. » Elle marquait une pause avant de reprendre, « Et je ne travaille pas en solo. »

C'était simplement pour qu'Amy ne fasse pas face à une débutante. Aguri avait toujours cet esprit analytique, toujours trouver ce qui tournait dans la tête des autres, pour se prouver qu'ils étaient aussi accessibles qu'elle au travers de son masque sans émotions. Aguri se faisait assez confiance pour pouvoir prouver sa place au sein de l'équipe, et pour cela, elle ferait le maximum. Après le commandement de la Sempaï, la rouge hochait la tête et se postait devant elle. L'aura qui au départ semblait joyeuse de la part de l'américaine, celle-ci changeait du tout au tout pour finir froide pratiquement. N'importe qui aurait pu tenir ses distances ou avoir perdu confiance, mais pas Aguri. Elle n'allait pas utiliser tout de suite son hypnose, juste pour voir de quoi était capable sa Sempaï. Cette évaluation n'était pas à prendre à la légère... En voyant le ballon aller droit au panier, alors qu'Amy regardait la rouge du coin de l’œil, Aguri se déportait en vitesse presque inhumaine et sautait pour dévier le ballon.

Les pieds sur le sol, elle tenait le ballon et dribblait avec jusqu'à sa Sempaï. Elle allait lui prouver qu'elle n'était pas une débutante, que ses années d'entraînement en cachette la nuit avaient portés leurs fruits. L'atmosphère changeait autour d'Aguri, son regard se plongeant dans celui de l'américaine, tellement inexpressive.

« Tentez votre chance encore une fois, Sempaï. »

L'aura d'excitation devenait rapidement troublante, mystérieuse, comme si la pièce était elle même plongée dans une perturbation. Mais seulement autour d'elles, la tempête de menthe glacée se transformait dans le regard d'Amy. Cette japonaise ne dégageait plus rien, absolument plus rien, tout était vide et elle désirait montrer qu'elle pouvait déstabiliser ses adversaires. D'un geste vif du poignet et au bon moment, Aguri envoyait le ballon plus loin du panier, comme si elle faisait une passe à quelqu'un d'autre. Amy était plongée dans ce regard si mystérieux et lorsque l'évaluée clignait des yeux, elle se tournait vers le ballon qui roulait encore contre le mur.

« Cela vous satisfait-il ? »

Après avoir vu ça, peut-être que la Sempaï aurait du mal à avaler, voudrait en savoir plus sur comment Aguri était capable de faire ça. Cela ne dérangeait pas la rouge, elle en serait même ravie.

Aguri regardait Amy, pensive sans le montrer. Ainsi, l'américaine était têtue au point de dire que ce n'était qu'un coup de chance de la part de la japonaise. Ce qu'il fallait respecter, car Amy était la fondatrice de ce club et aussi la Capitaine de l'équipe. De dos à elle, tout se confirmait pour la rouge, Amy avait bien du mal à digéré la pilule. Cependant, Aguri n'en tint pas rigueur, cela ne servait à rien. La japonaise savait que la défaite était une faiblesse oui, mais la faiblesse pouvait se transformer en force. Et ça, Aguri le savait mieux que quiconque.

Qui plus était, l'américaine était un peu sur les nerfs, du fait qu'elle venait de tomber dans le piège optique d'Aguri. La rouge soupirait silencieusement par le nez, fermant les yeux une seule et unique fois. Elle attrapait la balle d'un geste vif et marchait lentement, tenant la balle, une distance raisonnable, pour reprendre le contrôle. La balle percutait le sol, le silence pesant dans la pièce ; un silence calculateur. En fait, Aguri laissait une ouverture, était-ce seulement pour mieux feinter ensuite ? Mystère...

Sans éprouver le besoin de courir, Aguri fixait à nouveau les iris de sa Sempaï, continuant de s'approcher, puis se mit à courir, la balle passant entre les jambes de la japonaise. Elle se rapprochait de l'américaine, assez proche pour planter enfin son regard fixe et vide d'émotion. L'atmosphère changeait immédiatement, le silence devint ténébreux, limite angoissant. La pièce donnait l'impression de s'affaisser, le corps des deux étudiantes soudainement plus lourds. Plus on s'enfonçait dans les abysses, comme si l'on flottait dans un espace vide, s'engouffrer dans un puits sans fonds, un seul regard suffisait pour tout déstabiliser. Les pupilles de ces iris perçantes et pourtant si claires, se rétractèrent au maximum, laissant ses menthes glacées dominer son regard qui fut plus intense encore. Ah ça, elle allait avoir un peu mal à la tête, mais elle avait prévu le coup.

La rouge clignait des yeux après un moment de fixation intense, tournant sur elle-même la balle en main, dribblant,  avant de courir et lancer la balle dans le panier. Ses pieds se posèrent sur le sol avec une -presque- violence, se redressant légèrement. Elle se tournait vers sa Sempaï, sans montrer aucune émotion. Elle inclinait la tête sur le côté.

« Ce n'est pas un coup de chance, Sempaï. C'est un piège optique. », elle ramassait le ballon et le levait devant son propre visage, « Les émotions sont une part de l'âme, voire l'entité de l'âme entière. Le regard est, à ce qu'on dit, le réflecteur des émotions. Imaginez un instant être capable de fermer la ''porte'' de votre âme, de couper toute connexion avec vos émotions. On pourrait alors se convaincre qu'il n'y a plus rien qui traverse votre regard, qui se vide, qui ne peut plus trahir votre façon d'agir et penser. Je suis capable de faire ça, vous en avez été témoin deux fois, Sempaï. Ce n'est que de l'hypnose. »

Elle baissait les yeux, prise d'une petite crise de migraine. Elle grognait doucement, massant son front.

« Cependant, ma façon de faire comporte encore des faiblesses, comme vous pouvez le remarquer. Si je masse mon front, ce n'est simplement que pour le fait que j'ai une petite migraine en ce moment. Il ne me faut pas beaucoup de temps avant récupérer, c'est pour cela que je joue normalement, tout en m’exerçant à cette technique. », elle relevait la tête une fois la crise passée, « Je vous explique cela pour la raison que vous êtes la Capitaine et par respect, je me dois de vous livrer mes secrets, n'est-ce pas ? »

Aguri restait sur ses positions en observant sa Sempaï, la tête inclinée sur le côté, ses quelques mèches rouges chatouillant son visage. La Capitaine parlait, ce qui eut l'impact de faire relever la tête de la japonaise. Au fond, ses heures d'entraînement n'avaient pas servis à rien. La dernière phrase de l'américaine lui fit léhgèrement écarquiller les yeux. Amy marquait une pause, comme pour faire monter le suspense à la rouge, qui elle, restait là, les yeux écarquillés. Elle lui tendait la main pour la serrer, ce qu'Aguri répondait directement. Un mince sourire étirait ses lèvres, maigre mais plus expressif que les autres. Elle était heureuse, son rêve se réaliserait. L'américaine semblait très ambitieuse et il fallait la comprendre. La japonaise ne dit rien à ce propos, mais ses paroles avaient du sens.

« Vous avez de l'ambition. Comptez sur moi, je ne vous lâcherai pas. »

Elle continuait de sourire, relâchait la main de sa Capitaine et se tournait en pivotant vers le panier et marquait un trois points avec enthousiasme. Si celui qui lui avait appris le basket était là, il serait fier d'elle. Un sentiment prenait place au fond d'elle, comme si instinctivement, tout lui disait qu'ils se retrouveraient très rapidement...

« Quant à trouver des volontaires, j'ai confiance, nous en trouverons. »